14 avril 2020
Leçons de résilience des non‐lotis de Ouagadougou face au COVID 19
Depuis la confirmation de la présence du virus COVID 19 à Ouagadougou le 09 mars 2020, le gouvernement du Burkina Faso a pris plusieurs mesures successives pour faire face à la propagation de la pandémie à Ouagadougou en particulier, et au Burkina Faso en général. Après la décision de la fermeture des établissements scolaires à partir du 16 mars 2020 par le gouvernement, le Chef de l’Etat à travers un discours à la Nation, a ordonné l’interdiction de tout regroupement de plus de cinquante personnes et a instauré un couvre‐feu de 19h00 à 05h00 sur toute l’étendue du territoire national, tout en fermant les frontières nationales, dès le 21 mars 2020. Le gouvernement a également décidé de l’arrêt des transports en commun urbains et intra‐urbains, ce qui a pris effet à Ouagadougou à partir du 23 mars 2020. Puis, la commune de Ouagadougou a ordonné la fermeture de trente‐six marchés de Ouagadougou, la limitation des services des restaurants, bars et maquis à la livraison de plats et de boissons à emporter, dès le 26 mars 2020. A partir du 27 mars, le gouvernement a décidé de mettre en quarantaine toutes les villes touchées par le COVID 19, dont Ouagadougou. Cette mise en quarantaine a pour implication l’interdiction d’entrée et de sortie de personnes à partir des postes de péages qui entourent Ouagadougou, ainsi que la limitation des déplacements intra‐urbains au strict minimum. Toutes ces mesures drastiques ont été prises en complément des gestes‐barrières et sanitaires d’hygiène et de distanciation sociale recommandés par les spécialistes de la santé et les autorités publiques nationales. Récemment, le 02 avril 2020, le Chef de l’Etat a annoncé un plan de riposte ambitieux, avec des mesures économiques et sociales d’accompagnement pour soutenir les ménages burkinabè, le secteur privé et le secteur informel. Mais il nous semble trop tôt pour apprécier la mise en œuvre effective de ce plan de riposte contre les effets de la pandémie sur le terrain.
Notons que les mesures drastiques prises par les autorités gouvernementales et municipales depuis le 16 mars 2020 s’appliquent à l’ensemble du territoire national, au territoire communal de Ouagadougou et aux limites de l’agglomération, sans distinction de zones ou de quartiers. Pourtant, les quartiers non lotis représentent un tiers de la superficie de Ouagadougou et abritent quatre Ouagalais sur dix. Les habitants de ces quartiers précaires se distinguent par leur promiscuité résidentielle, du fait de la forte densité humaine, de l’exiguïté des terrains non‐lotis et de leurs habitations par rapport au reste de l’agglomération. La densité des citadins dans les quartiers non lotis est deux à trois fois plus forte que celle de la plupart des quartiers lotis.
Trois semaines après la confirmation de la présence du COVID 19 à Ouagadougou, nous nous sommes rendus à Bissighin, quartier non loti au Nord‐Ouest de Ouagadougou pour mesurer la prise de conscience du risque de la pandémie par les résidents et pour apprécier les conditions d’application locale des mesures gouvernementales et municipales, prises pour limiter la propagation de la pandémie. Le quartier non loti de Bissighin occupe une superficie de 291 hectares dont 39% est constitué d’espaces non‐bâtis. Les terrains non bâtis sont composés d’espaces naturels (espaces verts, vergers…) et de terrains délimités (équipements de statut privé à usage collectif, propriétés privées…). La population de Bissighin est estimée à 30.000 habitants. Comment appliquer la distanciation sociale dans un milieu où la vie quotidienne se mène dans des espaces partagés de cours communes et de ruelles ? Sachant que l’ensemble des citoyens et des citadins de Ouagadougou souffrent présentement des impacts socioéconomiques et psychologiques de cette pandémie et que la plupart des résidents du non‐loti exerce des activités informelles, rémunérées journalièrement, comment ces résidents des quartiers non‐lotis, s’adaptent‐ils à ces mesures gouvernementales et municipales de prévention du COVID 19 ? Quelles sont les initiatives locales prises par les résidents et comment envisagent‐ils l’avenir ? Une observation du quartier de Bissighin à la date du 1er avril 2020 et des entretiens avec une dizaine de résidents nous ont permis d’appréhender leur capacité de résilience face au COVID 19 et à en tirer des enseignements pour la prise en charge de la suite de la pandémie à Ouagadougou.
Une réelle prise de conscience de la maladie par les résidents du non‐loti
Dans le non‐loti de Bissighin, le message est passé. Tout le monde sait qu’il y a un virus qui est entré au pays des hommes intègres, même si tous ne savent pas le nommer correctement. Les résidents du non‐loti de Bissighin connaissent bien les gestes‐barrières pour se protéger du virus, notamment ne plus se saluer avec la main, se laver fréquemment les mains, porter un masque, éviter les regroupements, etc. La communication publique sur les gestes‐barrières de prévention du COVID 19 semble donc bien passée. Mais comment ces mesures sont‐elles appliquées dans le quartier non loti ?
Ce ne sont des résidents particulièrement gantés ou masqués que vous croiserez dans les rues et ruelles du quartier non‐loti de Bissighin. Cependant, plusieurs résidents ont témoigné, preuve à l’appui, qu’ils disposent d’un masque lavable dans leur poche. Ils le porteront lorsqu’ils jugeront les circonstances nécessaires : présence de poussière, augmentation de l’affluence, etc. On peut apercevoir quelques résidents portant justement ces masques recyclables ; les masques à usage unique sont bien rares dans le non‐loti. Au bord des rues, certains restaurants par terre ont installé des dispositifs de lavage de main avec de l’eau et du savon. De même, quelques rares cours d’habitation en possèdent un devant leur porte, afin que les visiteurs puissent se laver les mains en rentrant.
Figure 1 : Vues sur les dispositifs de lavage implantés dans les ruelles de Bissighin, L. Guigma, avril 2020
Le marché du non‐loti de Bissighin fait partie des trente‐six marchés frappés par la mesure de fermeture depuis le 26 mars 2020. En effet, ce marché non aménagé par l’administration, abrite plusieurs hangars en matériaux précaires, dont la faible hauteur par endroit, oblige les clients à se baisser pour pouvoir passer. A notre passage dans le marché à 16h00, tous les étals étaient vides et une dizaine de policiers veillaient au respect de la mesure de fermeture.
Figure 2 : Vues sur les étals vides du marché de Bissighin, L. Guigma, avril 2020
Le marché du quartier étant fermé, de nombreuses commerçantes de légumes ont monté des étals de fortune au bord de leur ruelle, devant leur cours d’habitation et continuent à vendre légumes, condiments, bois et charbon. Les boutiques, n’étant pas implantées à l’intérieur du marché, sont restées ouvertes, si bien que les résidents peuvent s’approvisionner en vivres (riz, farine, huile, sucre, etc.) à leurs lieux habituels. La fermeture du marché n’a donc pas un impact direct sur les clients, mais plutôt sur quelques commerçantes qui témoignent avoir moins de clients, même si nous pouvons constater que leur activité n’a pas cessé, mais qu’elle s’est déportée sur un autre lieu. Dès lors, les petits étals au bord des ruelles du non‐loti constituent des mini‐centralités du quartier, donnant naissance à de nouvelles activités informelles : préparation et vente de mets divers (beignets, ignames frits, brochettes de soja, etc.) avant l’heure du couvre‐feu.
Figure 3 : Vues sur les commerces de proximité dans les ruelles de Bissighin, L. Guigma, avril 2020
Les résidents rencontrés témoignent que les mêmes policiers présents dans le marché en journée, font respecter le couvre‐feu dans le quartier dès 19h00, si bien que pendant la période du couvre‐feu, les principales voies structurantes du quartier sont vides. Il en est de même pour les lieux de culte (mosquée, temples et églises), ainsi que pour les restaurants et les bars. Mais pour les connaisseurs, il existe néanmoins des petits bars discrètement ouverts, même en période de couvre‐feu. Mais, leur tenancier y a disposé une seule chaise par table et lorsque toutes les chaises sont occupées, il invite les clients à rentrer chez eux avec la bouteille et à la ramener le lendemain.
Tous les établissements d’enseignements préscolaires, primaires, post‐primaires et les lycées du quartier non loti de Bissighin sont fermés. Les lieux de cultes sont également fermés, mais quelques fidèles peuvent y pénétrer un à un, pour prier ou pour rencontrer leur responsable religieux. Pour entrer dans le centre de santé et de promotion sociale de Bissighin, les résidents savent que chaque malade doit porter un masque et qu’il ne doit avoir au plus, qu’un seul accompagnant.
La mesure de la distanciation sociale est donc respectée dans les équipements socio‐collectifs du non‐ loti de Bissighin à savoir les établissements scolaires, les marchés, les lieux de cultes les espaces de loisirs (maquis, bars, restaurants).
Un confinement responsable mis en œuvre dans le non‐loti
Le confinement total où chaque ménage serait cloitré dans sa résidence privée est inimaginable par les résidents du non‐loti de Bissighin. En effet, il n’existe pas toujours de délimitations physiques des possessions foncières des ménages dans le non‐loti. Plusieurs ménages du non‐loti partagent des espaces communs au sein d’un ilot et ces cours communes se prolongent et se confondent souvent avec les ruelles enchevêtrées qui bordent ou qui transpercent certains ilots pour desservir quelques terrains enclavés de riverains. Dans ces conditions, un groupe de résidents ont désigné une responsable au sein de leur zone d’habitations non loties à Bissighin. Cette dernière qui s’occupe de la sensibilisation et de la surveillance des mouvements des résidents, notamment ceux des femmes et des enfants. « Vous voyez ce groupe de gens (assis devant un étal de légumes), leur rayon de mouvement est désormais réduit, ils sont entre ici et la maison » nous confie un résident de Bissighin. Cette pratique locale est une mise en œuvre adaptée de la réduction des déplacements préconisée par le gouvernement.
En observant le quartier non loti de Bissighin, on pourrait s’inquiéter de voir une certaine proximité entre les jeunes hommes et garçons jouant aux cartes ou aux dames, jouant au football, ou causant autour du grin de thé. Cette même proximité est observée chez les fillettes, les jeunes filles et les dames papotant autour du commerce de proximité au bord de la ruelle ou à la borne fontaine (point d’eau collectif). Mais cette proximité est le signe d’une certaine convivialité et fraternité, comme le sont les membres d’une même famille. Par contre, une prudence plus grande est observée par les résidents du quartier vis‐à‐vis des « étrangers », visiteur du quartier qui sont tout de suite reconnus par les habitants du non‐loti.
C’est donc un confinement responsable par zone, qui est mis en œuvre dans le non‐loti de Bissighin. Les résidents ne sont donc pas confinés par résidence individuelle, mais par zone de résidence, en espérant que le virus ne pénètre pas leur zone de confinement responsable.
Une solidarité agissante
Dans le cadre du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles soutenu par ONU Habitat, le Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat en collaboration avec la Commune de Ouagadougou ont suscité la mise en place d’un Comité de quartier à Bissighin. Ce Comité, qui agit sous la forme juridique d’une association, dispose d’un récépissé depuis 2016 et d’un fonds propre nourri par les cotisations des membres, pour la mise en œuvre d’activités d’amélioration des conditions de vie urbaine dans le quartier : ramassage des ordures ménagères, entretien de certains tronçons de voirie, etc.).
Un membre du bureau exécutif du Comité de quartier a témoigné que le Comité n’a reçu pour le moment, aucune aide extérieure pour faire face à la pandémie dans leur quartier non loti. Cependant, pour limiter et se prémunir de la propagation du COVID 19, ce Comité du quartier a collecté trois cartons de savon, qu’il a généreusement offert à des personnes âgées du quartier, le 21 mars 2020. Cet acte de générosité traduit la bonne prise de conscience par les résidents du non‐loti, non seulement du risque de la maladie notamment chez les personnes vulnérables que sont les plus âgées, mais également du fait que c’est par la générosité et par la solidarité que des solutions de prévention et de résilience au COVID 19, peuvent être trouvées.
De même, un résident du non‐loti de Bissighin nous a avoué que les habitants du non‐loti ne craignent pas d’être confinés si des mesures plus drastiques venaient à être prises par le gouvernement. « Nous pouvons tenir deux semaines à un mois » déclare‐t‐il. Il justifie sa réponse par le fait que les résidents des non‐lotis sont sobres et modestes en matière de régime alimentaire, du fait de leurs ressources économiques limitées. Il n’est pas question de dévaliser les supermarchés ou les boutiques pour faire des réserves. Leurs moyens financiers ne leur permettent pas cela et la majorité d’entre eux ne disposent pas de réfrigérateurs pour conserver des denrées périssables. Ainsi, la plupart des ménages pourraient se contenter d’un sac de riz et de maïs qu’ils rationnaliseront avec les légumes et les condiments du quartier. Un ami résidant dans le non‐loti de Bissighin nous dit : « si ça chauffe et que je te demande un orange money de cinq mille francs par exemple, tu ne vas pas refuser. Il y a beaucoup de gens qui connaissent d’autres personnes comme ça qui pourront les soutenir pour tenir dans le mois de confinement ».
La solidarité en œuvre au sein du quartier non loti de Bissighin et celle existante entre les résidents du quartier non loti avec ceux des quartiers lotis est une ressource précieuse pour mitiger les impacts de la pandémie du COVID 19. Mais pendant combien de temps tiendront‐ils ? Que se passera‐t‐il si les bienfaiteurs sur qui certains résidents du non‐loti comptent, deviennent eux‐aussi démunis ?
Un futur optimiste
Les résidents du non‐loti de Bissighin ne semblent pas préoccupés par les scénarii catastrophes et les projections alarmistes du nombre de morts au Burkina Faso et dans le monde, si les gestes barrières ne sont strictement observées. Ils sont juste conscients qu’ils doivent se prémunir au jour le jour, de l’entrée du virus dans leur quartier, car ils savent que sa propagation risque d’être rapide si cela arrive.
A cet effet, une résidente nous a confié qu’elle souhaite vivement que l’eau courante ne soit pas coupée dans son quartier non loti et dans la ville de Ouagadougou en général. Précisons que Bissighin fait partie des cinq quartiers non lotis privilégiés de Ouagadougou, qui ont bénéficié d’un réseau souple d’adduction en eau potable de l’ONEA au sein de leur quartier non loti. De ce fait, Bissighin a bénéficié de l’implantation d’une vingtaine de bornes fontaines dans le quartier et de branchements individuels au profit d’un ménage sur dix.
Nous pensons qu’en cas de coupure d’eau du réseau ONEA, sur la base des expériences passées à Ouagadougou, les autorités publiques mettront à la disposition des résidents des quartiers les plus denses de la ville, des citernes d’eau potable afin de garantir l’approvisionnement en eau potable indispensable pour les citadins, en cette période de grande chaleur (avril) et de pandémie.
Au regard des conditions économiques de certains citadins des quartiers non‐lotis et de Ouagadougou en général, il importe également que les autorités publiques anticipent sur une crise alimentaire qui pourrait survenir à la suite d’une longue suspension des activités économiques dans la ville et dans le pays. L’encouragement d’initiatives de production et de distribution de produits alimentaires locaux et l’impulsion d’un mouvement de solidarité nationale pourrait garantir la constitution d’un stock de vivres et d’adopter des règles consensuelles de leur répartition aux ménages les plus nécessiteux.
Le gouvernement gagnerait aussi à initier les promesses de restructuration urbaine des quartiers non lotis. Cela permettrait d’avoir un état des lieux cartographié de la situation des ménages dans les non‐ lotis, puis de sécuriser leurs occupations foncières et améliorer leur cadre de vie en dotant les résidents et usagers de ces quartiers, de voirie carrossable. En effet, cette voirie constitue le lieu de passage des réseaux de viabilisation, mais également des lignes de connexion inter quartiers et des canaux pour desservir et secourir les résidents en cas de nécessité.
Contrairement à certains citadins confinés dans leurs grandes villas avec leurs smartphones, la vie quotidienne dans le non‐loti de Bissighin est faite de causeries, d’échanges en petits groupes, de sourires et de joie de vivre. Une joie de vivre qui n’enlève en rien, la prise de conscience des résidents du danger de la maladie et leur contribution dans la mesure du possible, à limiter au maximum la propagation du virus. Une joie de vivre, qui fonde au quotidien des initiatives locales et partagées de solidarité, de résilience urbaine, économique et psychologique, face au COVID 19. Une joie de vivre positive et contagieuse, qui fait espérer aux résidents qu’un remède sera vite trouvé contre cette infection et que demain ne sera pas pire.
figure 4 : Vues sur des enfants dans les ruelles de Bissighin, L. Guigma, avril 2020
Cette solidarité, cette résilience renouvelée, cette humanité et cette joie de vivre des résidents du non‐ loti, ne pourraient-elles pas inspirer d’autres citadins de Ouagadougou, d’autres citoyens du Burkina Faso, de l’Afrique et du monde, pour faire face au COVID 19, aux autres maladies et aux attaques terroristes qui sévissent malheureusement encore en Afrique et dans le monde ?
Léandre Guigma
Architecte, Dr en urbanisme
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